Le sonnet

 

Le sonnet est certainement la forme fixe la plus répandue de la poésie.

 

Caractéristiques formelles

 

Le sonnet régulier est un poème de quatorze vers, à l’origine des décasyllabes, puis surtout des alexandrins. Ces vers sont répartis en trois strophes distinctes, deux quatrains suivis d’un sizain, que la typographie sépare artificiellement pour en faire deux tercets. C’est pourquoi, on dit qu’un sonnet est composé de deux quatrains et de deux tercets.

Néanmoins, sachant qu’une strophe est forcément composée d’un système de rimes clos, il est nécessaire de réunir ces deux tercets en un seul sizain pour suivre cette règle.

Le système des rimes du sonnet est lui aussi très codifié : les deux quatrains possèdent les mêmes rimes embrassées, puis le sizain se compose d’un distique et d’un quatrain de rimes croisées. La combinaison originale du sonnet est donc abba abba ccdede.

Cette forme est appelée le « sonnet français », par opposition au « sonnet italien » dont le sizain propose un système différent : le distique est en effet suivi d’un quatrain de rimes embrassées et non plus croisées. La combinaison du sonnet italien est donc abba abba ccdeed.

Ces deux systèmes, apparus en France dès le XVIème siècle, peuvent être considérés comme les formes originelles du sonnet.

De nombreuses variantes ont été inventées par la suite, en particulier dans la disposition des rimes : c’est par exemple le cas du sonnet dit « élisabéthain » ou « shakespearien », qui se présente sous la forme de trois quatrains à rimes croisées, suivis d’un distique final.

En définitive, tout poème de quatorze vers tend ainsi à se rapprocher de la forme du sonnet. Enfin, de nombreux sonnets mettent en valeur le dernier vers, qui donne parfois la clé du poème, ou présente un trait d’esprit particulier, une formule brillante, satirique ou même morale ; c’est la raison pour laquelle ce dernier vers est couramment appelé le « vers de chute ».(Pensez au poème de Rimbaud « Le Dormeur du val », c’est le dernier vers qui nous apprend la vérité : le soldat ne dort pas, il est mort).

 

Histoire et évolution du sonnet

Le sonnet est apparu en Sicile, au milieu du XIIe siècle, mais il s’est surtout développé en Toscane, sous l’impulsion du célèbre Pétrarque : celui-ci en composa 317 en l’honneur de Laure. La fin du XVème siècle voit ses imitateurs se multiplier en Italie, lorsque l’invention de l’imprimerie permet la diffusion du recueil des sonnets de Pétrarque. Enfin, cette forme apparaît en Espagne, en Angleterre et en France, où la mode italienne (liée entre autres aux campagnes militaires de François Ier) et la découverte, à Avignon, du prétendu tombeau de Laure (en 1533) lancent le pétrarquisme.

On considère généralement que c’est le poète Clément Marot qui a introduit le sonnet en France : en 1539, il publie une adaptation de « Six sonnets de Pétrarque » ; de fait, les premiers sonnets publiés en langue française sont le plus souvent des traductions du célèbre Italien. Mais les poètes français s’approprient rapidement cette forme fixe, dont ils reconnaissent les vertus. En 1548, Thomas Sébillet affirme ainsi dans son Art poétique français (II, 2) :

« Le Sonnet aujourd’hui est fort usité, et bien reçu pour sa nouveauté et sa grâce. »

Du Bellay lui-même, dans la Défense et illustration de la langue française (1549), en recommande l’usage, et il est le premier, avec L’Olive (1550), à faire paraître un recueil entièrement composé de sonnets. Deux ans plus tard, Ronsard publie à son tour ses propres sonnets, dans le recueil des Amours ; la fortune de cette forme fixe est alors assurée. Peu à peu, elle n’est plus seulement réservée au lyrisme amoureux, mais s’ouvre à d’autres thèmes et à d’autres registres : elle devient alors, notamment dans Les Regrets de Du Bellay (1558), élégiaque ou satirique.

Le sonnet reste la forme poétique la plus pratiquée durant toute la première moitié du XVIIème siècle, que ce soit par les baroques tels que Sponde ou Maynard, par le premier des poètes classiques qu’est Malherbe, ou par les Précieux, comme Voiture et Malleville.

Néanmoins, le sonnet perd peu à peu de son prestige dans la seconde moitié du siècle, jusqu’à ce que Boileau le condamne dans son Art poétique de 1674 : s’il reconnaît qu’« Un sonnet sans défauts vaut seul un long poème », il ajoute qu’« en vain mille auteurs y pensent arriver », et finit par caractériser le sonnet comme « orgueilleux » (chant II, v. 94-95 et 112). Le sonnet tombe alors dans l’oubli, jusqu’à ce que le XIXème siècle le redécouvre.

Sous l’impulsion de Sainte-Beuve et de Nerval, qui relisent les poètes de la Pléiade, le sonnet revient au premier plan avec la seconde génération romantique : Gautier, Nerval et Baudelaire en écrivent, suivis par les Parnassiens comme Heredia, puis par Rimbaud, Verlaine et tous les symbolistes, dont Mallarmé. Cependant, le sonnet du XIXème siècle est profondément renouvelé, par exemple par Baudelaire qui le libère quelque peu de ses contraintes et de son modèle original (dans Les Fleurs du mal, on peut distinguer trente-quatre formes différentes de sonnets !), ou par Tristan Corbière, qui renverse sa structure traditionnelle pour proposer un sonnet s’ouvrant sur un sizain et s’achevant par deux quatrains (« Le Crapaud », dans le recueil des Amours jaunes). Cela montre que ce renouveau du sonnet n’est pas qu’un hommage à une forme du passé, figée dans un ensemble de règles : elle continue à vivre, à évoluer sous la plume des plus grands poètes de la seconde moitié du XIXème siècle.

Pourtant, le XIXème siècle va lui aussi se détourner de cette forme ; donnant de plus en plus d’importance au vers libre, voire au poème en prose, les poètes ne s’accommodent plus des trop grandes contraintes du sonnet, qu’ils finissent par délaisser.

Quelques tentatives poursuivent cependant le travail des poètes du passé : on peut relever par exemple les textes de Jacques Roubaud invente la forme du sonnet en prose, fondé sur quatre versets (deux de quatre lignes et deux de trois lignes), et celle du « sonnet de sonnets », structure complexe composée de quatre sonnets suivis d’un blanc, puis de quatre sonnets à nouveau suivis d’un blanc, puis de trois sonnets suivis d’un blanc et enfin de trois sonnets.

Aujourd’hui encore, le sonnet reste donc une forme qui inspire les poètes et provoque la création, bien plus qu’il ne la limite.

 

 

Bibliographie

• A. Gendre, Évolution du sonnet français, PUF, 1996.

• J. Roubaud, Soleil du soleil : le sonnet français de Marot à Malherbe, une anthologie, POL, 1990.

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