Le sens n’est pas donc arrêter, il est problématique dans la poésie de Rimbaud qu’il confirme : «je suis le seul qui possède les clés de cette parade sauvage ». L’une des caractéristiques du texte poétique et c’est le cas ici, il dit une chose littéralement mais il signifie autres chose. On doit donc distinguer le sens et la signification.

     a-sens latéral du poème

    Rimbaud met en scène un univers familier : l’enfant a des plaques rouges sur le front  « rouges tourmentes » parce qu’il a des poux aux cheveux et qui le piquent. Les deux grandes sœurs l’installent devant la fenêtre pour extraire et tuer les poux « devant une croisée ». On constate qu’il y a une ambigüité sur la notion de « sœurs » : religieuses ou non. Ce qui veut que le texte joue sur l’indétermination des termes qui permet au poète d’inscrire son poème dans le conte. Le bruit que font les ongles en tuant les poux rythment la rêverie de l’enfant » crépité ». Salives reprises sur les lèvres ou désirs de baiser »,  se demande le poète quand les deux sœurs humectent leurs lèvres pour rattraper la salive à temps sur rend que tout le texte se joue sur l’érotisation. C’est ainsi qu’il est partagé entre le désir d’avoir ses cheveux caressés et la douleur des cheveux tirés par les sœurs »il se sent, selon la lenteur des caresses sourdes et mourir sans cesse un désir de pleurer ».
Mais, toute cette scène est complétée par une évocation de la nature « fleur »,  « rosée », « végétaux », et par une écriture poétique nouvelle.

     b- vocabulaire choisie par Rimbaud

Le vocabulaire choisi par Rimbaud, les suggestions sensuelles de la description, les métaphores qui transfigure cette scène prosaïque d’épouillage, tendent à développer des connotations oniriques et érotiques. Deus « grades sœurs se penchent sur le front de « l’enfant », endolori par une invasion de poux. Leurs doigts « fins, terribles et charmeurs », leurs mains caressantes, prennent possession de ses chevelures et le conduisent jusqu’à un sommet de volupté plein de sous-entendus. Le mot « sœur » ici, comme dans l’invitation au voyage de Baudelaire, correspond à une figure féminine tendre et idéalisée.

     c-portée sociologique du poème

Rimbaud est un poète marginal qui a vécu une vie de bohémien, remplis de fugue dans son adolescence. Comme tout bohémien, il refuse la bourgeoisie donc l’enfant sale est l’allégorie de du bohémien alors que les deux grandes sœurs c’est l’allégorie de la bourgeoisie qu’il dénonce ç travers une nouvelle écriture poétique tout en prenant le contre-pied de la tradition. Il entreprend à inventer un nouveau langage poétique. Pour lui, le poète est un voyant : il voit ce que les autres ne voient pas, et qui a une ultra-sensibilité, il l’annonce déjà dans la « lettre du voyant » envoyée à son professeur « long et lent dérèglement dans tous les sens », il est connu aussi pour son provocation et son anticonformisme, symbole du poète révolté, il est souvent rattaché au symbolisme, il déchiffre les symboles du monde.

Analyse générique ou  de la métrique :

Paul Léautaud dit dans un entretien : « Je vous ai dit l’autre jour que je suis arrivé très tôt à considérer qu’il y a plus d’effet que de véritable profondeur dans «  le bateau ivre ». Pour moi, il n’y a qu’une chose qui m’a plu : Les chercheuses de poux…. ». Ce jugement de quelqu’un qui n’aimait pas Rimbaud met en lumière les qualités exceptionnelles de ce texte.
Rimbaud y montre une totale maitrise de l’instrument forgé par V. Hugo et Baudelaire : musicalité, variété et souplesse de l’alexandrin (rejet, enjambement, et rythmes irréguliers), sens de la métaphore et du symbole, suggestions sensuelles des images (appel aux différents sens et synesthésies), raffinement phonétique (richesse des rimes que Félicien Champsaur qualifia jadis de « rimes raciniennes », jeux sur les assonances et les allitérations.


Ce texte est poétique pour plusieurs raisons: on note d’abord un effet de disposition car le texte est présenté visuellement d’une manière particulière qui est propre au genre poésie. Max Jacob le confirme dans la préface le cornet à dés : « le poème est un objet bien construit … ».[1] La construction du poème obéit à des règles de versification qui repose d’une part sur le retour d’un certain nombre de syllabes(le mètre), d’autre part sur le retour de certaines homophonies à la fin ou au milieu du vers (rimes finales et rimes intérieures), ainsi que le retour de l’accent(le rythme).

Nous sommes devant cinq quatrains qui sont composés d'alexandrins. Toutes les strophes se construisent sur le même type de vers isométrique : l’alexandrin.
Cinq quatrains à rimes croisées composent le poème, chacun Constitue une phrase. Ce qui permet au texte d’être traversé par des enjambements.
Le poète inscrit son poème dans une esthétique de l’alexandrin. Ce dernier nous rappelle à bien des égards l’alexandrin de Racine car il use des rimes très riches qui va encore comporter deux syllabes (tourmentes/charmantes)…
On relève aussi des rimes intérieures (an/en) ce qui fait que l’alexandrin cherche l’harmonie. Cette harmonie chante le rêve qui est le thème le plus cher que les surréalistes vont utiliser et qu’ils le doivent à Rimbaud. Cette thématique du rêve va être renforcée par la périphrase  « Avec de frêles doigts aux ongles argentins » qui connote de l’érotisation. Mieux encore
_L’espace qui n’est pas décrit, il est flou : c’est le rêve.
 UN autre élément de la métrique à savoir l’enjambement, habituellement interdit dans l’alexandrin, et sur lequel  le poète veut que tout son poème se construit « Avec de frêles doigts aux ongles argentins »,  « Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs »,  « Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers », « Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux »…

On relève aussi le rejet comme lieu intime du poème, car c’est lui qui a donné le secret de la moralité dans La fourmi et la cigale de J. De La Fontaine. « Parfumé » met l’accent sur la synesthésie qui renvoie au « parfum exotique » de Baudelaire.
« Et » avant la ponctuation, renvoie au conte « …, et leurs doigts électriques et doux », « …, et qu’interrompt parfois un sifflement », ce qui permet au poète d’inscrire son poème dans un registre fantastique, mieux encore avec l’hyperbole  « il entend leurs cils noirs battants ».

     d/ structure du poème

                     « Parfum exotique » de Baudelaire


Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,
Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.
     Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

La structure du poème peut être rapprochée d'une certaine esthétique baudelairienne. En effet, les deux premiers vers constituent une proposition subordonnée de temps. On peut retrouver ce schéma dans certains poèmes des Fleurs du Mal et notamment dans " Parfum exotique " :
Quand les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne, Je respire l'odeur de ton sein chaleureux, (…)
 Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes, Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,
      On constate que  les thèmes abordés par le poème sont construits progressivement. Ainsi, la première strophe plante c le problème par l'emploi du C.C. de temps. Ensuite, la seconde strophe présente l'action décrite. La troisième et la quatrième strophe commencent par une structure du type : pronom + verbe de sensations auditives (Il écoute, il entend). Enfin, la dernière strophe indique la conclusion du poème avec l'adverbe : « Voilà ». L’influence de Baudelaire est évidente.
 Rimbaud est certainement inspiré de Baudelaire à travers l'importance des sensations. Ainsi, Rimbaud unit l'ouïe et l'odorat au vers 9 : " Il écoute chanter leurs haleines craintives " ou au vers 13 - 14 : " les silences parfumés ".   Le goût est mêlé à des sensations visuelles : " de longs miels végétaux et rosés ".  La vue est d'ailleurs bien représentée puisque presque toutes les couleurs sont passées en revue : «  rouges, blancs, argentins, bleu, rosés, noir »

    e/ dimension narrative du poème

Dans ce poème, Rimbaud recourt à un mélange de genres. Ainsi, on remarque qu’il y a une certaine narration qu’il l’a faite à travers l’emploi des mouvements précis : « s’assoir », « il vient près de son lit », et aussi avec un univers habituel (les poux les sœurs..), cette narration se fait avec le présent itératif.
Cette scène est exprimée en focalisation interne car c’est à travers les yeux de l’enfant que nous pouvons entrer en contact avec le poème.  Le poète recourt à la troisième personne du singulier pour raconter sa vie ce qui lui permet d'insérer une distance entre le poète et l'enfant.
En plus la structure impersonnelle "il vient près de son lit deux grandes sœurs" indique la différence fondamentale entre les sœurs, allégorie de la bourgeoisie, et l'enfant, allégorie du pauvre bohémien. La présentation étrange des deux sœurs : religieuse ou non, de l’espace qui est flou : maison familiale ou orphelinat, ou encore l’indétermination des termes laisse planer le doute sur la certitude.
A travers l’écriture poétique, Rimbaud exprime la relation ambigüe de l’enfant au monde extérieur. L’enfant est isolé dans sa sensualité. Rimbaud aussi est isolé poétiquement. La conscience de son altérité poétique notamment dans les nombreux enjambements, ne lui permet pas de s’intégrer à un espace social préfabriqué. Ainsi la revendication sociale d’altérité se fait aussi sur le plan poétique.
Aussi, Rimbaud transforme les synesthésies et le fantastique en éléments servant son projet poétique. En effet, son projet est de montrer la rupture avec le monde extérieur, avec les sœurs, pour trouver, dans le malaise, dans la douleur, un bien-être nouveau, issu d'un dérèglement de tous les sens.

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fadilo-kl

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